SERIE BLEU INDIGO

Publié le 2011-01-15
Temps de lecture : 4 min.
Les Allumés du Jazz


 
musée du quai Branly
222, rue de l'Université
75343 Paris Cedex 07
01 56 61 70 00
www.quaibranly.fr
 
Steve Lehman Octet
Samedi 22 janvier 2011 – 18h
Steve Lehman (saxophone alto), Mark Shim (saxophone ténor), Jonathan Finlayson (trompette), Tim Albright (trombone), Chris Dingman (vibraphone), Dan Peck (tuba), Drew Gress (contrebasse), Tyshawn Sorey (batterie)
 
 
Il y a sans doute le fait que Steve Lehman appartienne à une nouvelle génération de musiciens créateurs new-yorkais, autant polyvalents que volontaires (dans son cas : capable d’écrire et d’extrapoler pour un quatuor à cordes, d’imaginer un environnement sonore propice à l’improvisation avec le programme informatique Max/MSP, de conférer avec le rappeur High Priest d’Anti-Pop Consortium, etc.). Il y a peut-être le fait que « Travail, Transformation, and Flow », le premier enregistrement du Steve Lehman Octet, paru en 2009 sur PI Recordings, ait été désigné « meilleur disque jazz de l’année » par le New York Times. Mais il y a autre chose aussi. Depuis le be-bop, au-delà du be-bop, la « coulée automatique » de certains improvisateurs (Jackie McLean, Jimmy Lyons, Anthony Braxton ou Steve Coleman, chez les altistes – les uns et les autres ayant été les modèles ou les maîtres de Lehman) s’est épanouie en un jeu à flux tendu, volubile et coupant, une étourdissante jonglerie de symétries et de dissymétries qui a fini par affecter l’agencement même de ces musiques. Là, l’improvisation est autant thématique que mathématique : c’est une activité structurelle, constamment génératrice de structures. Tout y est affaire d’entrecroisements et de pivotements – tout fuse et repart de plus belle.
Parti de cette lignée, Steve Lehman a également mûri une anecdote restée célèbre : l’intérêt de Charlie Parker pour le vocabulaire musical d’Edgar Varèse (que l’on peut d’ailleurs considérer, avec Berlioz, Scriabine ou Messiaen, comme l’un des précurseurs de « la musique spectrale »), l’improvisateur ayant même prévu de prendre des leçons d’orchestration avec le compositeur. Ce précédent et quelques autres ont encouragé le jeune saxophoniste, alors qu’il était encore étudiant à la Wesleyan University au début des années 2000, à faire quelque chose de sa rencontre avec la musique spectrale développée par Tristan Murail et Gérard Grisey. Assistant à la première américaine de « Le Partage Des Eaux » de Murail, il invita ce dernier à prononcer une conférence, avant de devenir son étudiant, et celui de George Lewis, à la Columbia University. Mais plutôt qu’une « école », Steve Lehman a trouvé dans cette approche délicate du spectre sonore de quoi ressourcer l’activité structurelle de ses improvisations : « D’abord, il s’avère très utile et très significatif de concevoir le timbre et l’harmonie non comme des catégories musicales séparées, mais comme un subtil hybride. Ensuite, il s’avère très efficace et très précieux de prendre des décisions musicales ou compositionnelles basées sur les réalités à multiples facettes de la connaissance du son et sur les phénomènes psycho-acoustiques. » Son octette, passé maître dans cette science des timbres et des harmonies en clair-obscur, où chacun se double et se dédouble, où il y a toujours quelqu’un pour s’écarter du sujet, pour passer outre, ou inaperçu, pour jouer ce qui est entendu et ce qui est sous-entendu, où d’effilées résonances filtrent à travers une prolifération rythmique à couper le souffle, toujours à temps et à contretemps, avec les fins et les moyens du swing, du drum’n’bass, des percussions africaines et/ou contemporaines, réunit un all-stars de young lions new-yorkais. Mais, contrairement à leurs prédécesseurs des années 80 du XXème siècle, ceux-là réinstaurent le jazz comme musique chercheuse, audacieuse, passionnante, de réitérations aussi pénétrantes que passagères en fols tiraillements, de ralentissements inexplicables en accélérations subites, de réfractions en déviations, de toute beauté.
 
 
 
 
BLEU INDIGO
 
Bleu Indigo, cela pourrait être la couleur associée au blues et au blues people, à la fois une couleur (la septième, la mystérieuse, entre le bleu et le violet), un registre et un sentiment, par extension le Mood Indigo de Duke Ellington, et cela pourrait être la plante des plantations, pour mémoire, laquelle donne cette teinte si particulière que les Yoruba, les Mandé ou les Ibo liaient au blanc afin de s’attirer diverses protections magiques.
Pour la première saison d’une série de concerts consacrée à cet hybride musical né au tournant de l’autre siècle, et s’aventurant dans celui-ci, un programme original et novateur fait la part belle à de jeunes talents venus d’Outre-Atlantique dont les différents projets, pour la plupart inédits en France, ont ceci de commun qu’ils frayent tous de nouvelles voies à la musique créative aujourd’hui. Car cet art musical désormais historique continue d’être légendaire, voire visionnaire. Placées sous l’indéfinissable couleur du bleu indigo, sous son charme aussi, ces sept « jazz sessions » proposent l’équivalent d’un parcours initiatique, retraçant symboliquement les routes empruntées « à l’origine », du Deep South (John Hébert’s Byzantine Monkey, Matana Roberts’ Coin Coin) jusqu’à l’East Coast (Tyshawn Sorey Quartet, Steve Lehman Octet, Farmers by Nature), en passant par le Midwest (Mike Reed’s People, Places & Things, Chicago Underground Duo), et faisant la liaison avec l’espace archipélique de l’Atlantique noir, que ce soit en direction de l’Amérique du Sud (Sao Paulo Underground), de l’Afrique ou de l’Europe (Steve Lehman Octet, Matana Roberts’ Coin Coin).
C’est donc moins le jazz qui « arrive » au musée que le musée qui « part », dans une atmosphère nécessairement chaleureuse permettant l’échange avec les improvisateurs à l’issue des concerts, pour le pays de cocagne d’une musique en liberté(s).
 
Les deux premiers concerts sont observables là: http://liveweb.arte.tv/fr/video/Tyshawn_Sorey_Quartet_au_Musee_du_Quai_Branly/ et http://liveweb.arte.tv/searchEvent.do?method=displayElements&categoryId=11

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