"QUE PEUT L'ART" PAR JEAN-MARIE DURAND LES INROCKUPTIBLES
“Que veut l’art ? Tout. Que peut l’art ? Rien. Que fait l’art ? Quelque chose.” À cette formule magnifique de Jean-Luc Godard, la nouvelle exposition de l’artiste Thomas Hirschhorn, LAST CHANCE : What can we learn from History of Art, for today's understanding ?, apporte un contrepoint, sinon un démenti, invitant à réfléchir à une question jamais soldée : quels sont les pouvoirs effectifs de l’art sur la marche de l’histoire ? L’art peut-il nous éclairer sur la manière de mieux habiter le monde ? Nous aide-t-il à affronter le présent chaotique ? Si certains “maximalistes” de l’art comme Hirschhorn veulent y croire, d’autres, plus sceptiques, en doutent au nom de la raison froide et objective. Pas plus qu’une chanson ou un livre, une œuvre d’art n’a jamais changé le monde, sinon le monde intérieur de spectateur·rices renversé·es par la beauté contagieuse.
Exposant à la galerie Chantal Crousel une série inspirée de l’esthétique des posts qu’il publie sur Instagram – les Art-History-Plaques, ressemblant à des plaques commémoratives militaires fabriquées en carton -, l’artiste poursuit une œuvre politique puissante, qui à travers des formes précaires et bricolées, défend une idée proche d’un miracle : la possibilité qu’a l’art de transformer les vies. “Je crois au pouvoir de l’Art parce qu’il ouvre une percée universelle et intemporelle dans les habitudes de commenter le quotidien”, estime-t-il dans le texte qui accompagne ses pièces. “Cette percée, rendue possible par l’Art, peut être la clé pour apprendre et comprendre réellement ce qui se passe dans le monde actuel, et ainsi nous pousser à agir en conséquence”, poursuit-il.
Convaincu que les politiques ou les historien·nes “sont incapables ou ne veulent pas nous aider à comprendre notre époque afin de changer les choses”, Thomas Hirschhorn postule que l’histoire de l’art peut même être notre “dernière chance” sur la voie de la clarté, à défaut du salut. Plus que l’histoire politique, elle nous apprend “à comprendre le monde”, “nous montre comment pousser et guider notre esprit au-delà des frontières et conventions”. En donnant forme à des affects, à des peurs, à des espérances, l’art guide les âmes perdues.
Ses multiples sculptures en carton, sur lesquelles une question – “Why does history of art teach us to understand today’s world ?” (“Pourquoi l'histoire de l'art nous apprend t-elle à comprendre le monde d'aujourd'hui ?”) – accompagne l’image d’une œuvre, disent toutes, dans leurs variations mêmes, que l’histoire de l’art reste un réservoir d’affects et de gestes auxquels il faut encore croire pour entrevoir des horizons émancipateurs. Comme il le suggérait déjà au Palais de Tokyo en 2014, la “flamme éternelle” qu’il invite à entretenir par le geste artistique permet de résister à la consumation du monde.
Thomas Hirschhorn, LAST CHANCE : What can we learn from History of Art, for today’s understanding ?, galerie Chantal Crousel, jusqu’au 18 janvier 2025.