"Ce matin, vendredi 13 décembre 2024 à 7 heures, la journaliste de France Inter annonce parmi les titres du jour : la mort de Martial Soral. Ouf ! On a eu peur qu'il s'agisse de son paronyme pianiste Martial Solal. Et puis quelques minutes plus tard, un autre journaliste fait un (très) rapide portrait de Martial Solal. Ah oui c'est de la musique ! Ce type d'erreur ne doit pas être grave, un peu comme quand, sur la même chaîne était annoncée la disparition du chanteur Beck au moment de la mort de l'homonyme guitariste Jeff.
Le décès d'Irène Schweizer, le 16 juillet de cette année, rappela d'une force très intime un concert du 14 juin 1980 à Chantenay-Villedieu qui n'avait pas quitté nos mémoires heureuses d'une délicieuse et complémentaire différence que l'on rêvait en nature grandissante. Concert évoqué la nuit du 11 au 12 décembre dernier sur les ondes de France Musique, lors de l'hommage à Irène Schweizer lors de la nuit de l'improvisation produite par Anne Montaron. Soirée chantenaysienne double solo de piano : Martial Solal et Irène Schweizer. Ils avaient tiré à pile ou face l'ordre des passages sur proposition de Martial Solal. Le pianiste joua en premier et fut très attentif spectateur de la seconde partie de la pianiste. Tout était très amical, de sourires, de belle entente, sans rôle à jouer.
Martial Solal était une sorte d'énigme, loin du courant free et d'une insolente liberté. Beaucoup d'encre et de débats radiophoniques à son sujet. Alain Gerber aimait Milford Graves et Martial Solal. Nous aussi. On avait largement apprécié Sans Tambour Ni Trompette (RCA), son disque en trio avec Jean-François Jenny-Clarke et Gilbert Rovère, ses solos Ah non (RCA) et Himself (PDU), le duo avec Hampton Hawes Key For Two (Byg), les Piano Conclave de George Gruntz (Atlantic, Mps) ou leur - en quelque sorte - raccourci dans le duo avec Joachim Kühn Duo in Paris (Musica), le duo avec Niels Henning Ørsted-Pedersen Movability (Mps) (Quel plaisir de les avoir vus ensemble aussi). Et puis les multiples albums et concerts avec Lee Konitz : Satori (Milestone), Jazz à Juan (Steeple Chase) JAZZ À JUAN !!! Ah oui alors !, le duo Konitz-Solal Duplicity (Horo - combien de trésors enfouis sur cette étiquette). L'association Konitz Solal, sorte de félicité eurythmique se poursuivra sur scène comme sur plusieurs albums dont quelques-uns en duo.
Les uns le taxaient de froideur, les autres lui en voulaient d'avoir manqué Coltrane ou, pire, de ses horrifiants commentaires acerbes sur le free jazz (sur lesquels il est en partie revenu)... qu'est-ce que ça pouvait bien faire (disons que ça faisait mais qu'on n'en restait pas là). Si la musique n'était que question de températures ou de qui aime qui... ce n'était pas ce qui guidait certains et certaines d'entre nous pour aller écouter un jour Derek Bailey et le lendemain Martial Solal, lesquels ne jouèrent jamais en duo mais tous deux jouèrent avec Michel Portal (ils enregistreront plus tard deux disques en duo chez Erato et BMG-RCA). Ces sortes d'arithmétiques rêveuses ont leurs petits pouvoirs. Et "Twist à Saint Tropez" co-composé avec Guy Lafitte ne peut être taxé de froideur.
Solal était aussi l'artisan de la rencontre de son trio avec Sidney Bechet en 1957 pour un fameux album chez Vogue (les disques) diversement apprécié. Enregistrement avec Kenny Clarke (qui avait joué avec Bechet avant d'inventer la batterie bop) et Pierre Michelot pour une face, l'autre avec le bassiste Lloyd Thompson et le batteur Al Levitt. Au même moment, Solal et Bechet ne jouent pas la même musique, mais des histoires parallèles se déroulant dans des temps différents. Fascinant ! Comme la température, l'osmose n'est pas tout, il existe toutes sortes de liens qui sont autant d'indépendances affirmées capables d'exister ensemble. Ce genre d'idée nous plaira tant qu'elle sera recherchée et provoquera immédiatement pour certains et certaines, par exemple, l'adhésion à un nouveau courant de musique improvisée anglaise ouvert avec le groupe Alterations (qui dérangera une free music déjà sacralisée avec ses codes).
Forte de cet héritage, la fille de Martial Solal, Claudia Solal prendra en chantant d'autres libres chemins de liberté. Un concert à l’Opéra de Lyon le 14 octobre 2016 les réunira (avec le batteur Bernard Lubat, et le contrebassiste Mads Vinding).
Bon ! Il est d'autres appréciables compagnonnages et amitiés avec Guy Pedersen, Daniel Humair, Charles Bellonzi, Stéphane Grappelli, André Hodeir, Lucky Thompson (oui, oui Godard - Melville - À bout de souffle)... L'histoire de Martial Solal, on ne la fera pas ici tant il est de gens tellement plus compétents pour la raconter, la détailler, l'interpréter. On se contentera de mentionner les entretiens avec Xavier Prévost des 3, 4 & 5 décembre 2003 réalisés par Cati Couteau pour « Musiques mémoires » (Entretiens patrimoniaux - INA) publiés en livre + DVD (éditions Michel de Maule) sous le titre Martial Solal, compositeur de l’instant et consultables en leur intégralité sur le site de l'INA. Tout y est.
Tout de même pour finir : un autre souvenir, celui de l' irrévérencieuse complicité du duo Martial Solal - Jean-Louis Chautemps. Longue pratique commune, mais duo trop rare. Solal estimait que du free jazz, "Chautemps avait le droit de le faire" et qu' "avec Chautemps, c'est sûr qu'il y a des moments, comme il est, il peut être tellement exubérant, triste ou gai, ou comique, enfin, il peut être tout..."* ce qui s'apprécie particulièrement lors d'un concert inoubliable du 29 décembre 1980 au Studio 106 de la Maison de la Radio qui se concluait par "You Stepped out of a dream".
* extraits des entretiens avec Xavier Prévost cités plus haut (consultables ici)
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• Photographie : Guy Le Querrec - Magnum : Chautemps et Solal le 29 avril 1988 à L'Europa Jazz Festival du Mans"
Texte issu du blog nato à lire ici
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