LE RAP ALLUMé (DU JAZZ) DE L'1CONSOLABLE

Publié le 2024-06-26
Temps de lecture : 4 min.
Les Allumés du Jazz
LE RAP ALLUMé (DU JAZZ) DE L'1CONSOLABLE

Le Mans, boutique des Allumés du Jazz, 1er juin 2024

par Pierre Hélelou et Geude-Emile Heureux

Les papes sont parfois des gens sérieux. Parfois, ils écrivent des textes aux noms solennels - encycliques, brefs, bulles - ‌dans lesquels ils sélectionnent systématiquement, et depuis bien des siècles, des extraits de la Bible et de textes sacrés, qu'ils lient par leur propre discours. Un texte peut-être apocryphe, retrouvé dans le legs de Hugues V du Maine, dit le Manceau, décrirait cette singulière pratique papale du nom de samplum. Un manuscrit plus tardif issu de la bibliothèque de Foulques d'Anjou, évoquerait quant à lui l'art d' « eschantillonerie, à quoy toust pape resclarit ». Sans doute pourrait-on voir cela figurer sur un mur de l'abbaye royale de l'Epau, alors que le festival Jazz Tangente achevait sa première édition, joyeuse et réussie, le dimanche 2 juin.

La veille, l'1consolable, auteur de l'épatant album Sauvage, raconte une autre histoire du sample à la boutique des Allumés du Jazz. Dans l'assistance nombreuse, aucun pape (à moins - cela arrive -  qu'il ne fut venu clandestinement déguisé en champignon) mais des êtres épris de découverte.

Situation : Pour le festival Jazz Tangentes, du 31 mai au 2 juin 2024, nouveau chapitre de la vie du jazz manceau, les Allumés du Jazz sont invités à participer. Chic ! Ils dégainent une idée de créative conciliation, de collective déraison magique, en proposant à L'1consolable de scander ses textes, poser son flow groovy sur des samples (échantillons) de morceaux de son choix, aménagés à sa guise, issus des catalogues de différents albums des Allumés du Jazz. Une petite histoire dans la grande... Un conte.
 
Le 30 avril, suite à l'annonce de ce concert par les voies d'internet (assez papalement impénétrables), les Allumés du Jazz recevaient cette missive de Laurent F. à Angoulême : « Pardon, mais ce n'est pas en programmant du rap que vous attirerez plus de monde vers le jazz, au contraire. Vous cautionnez ainsi cette sous-musique qui envahit tout et qui n'a vraiment pas besoin d'être aidée pour se répandre, telle une sale épidémie. On ne se bat pas avec les valeurs des autres, mais avec les siennes. »

Bing : retour à la crasse des parts. Le jazz, en sa pleine beauté de sous-musique néo-orléanaise avait dès sa naissance rapidement tout envahi. Jamais elle n'obtint véritablement son certificat de pureté. Aussi, comme toute personne de grand âge, quand elle perdit un peu de son souffle après sa grande libération, elle demanda de l'aide à ses fils et filles. Et vint le rap, qui mieux qu'une subtile façon d'accommoder les restes, énonça de plein fouet une expression en adéquat écho à son époque comme le jazz, son grand-père, sut le faire. Une forte partie des amateurs et praticiens d'une musique souvent enlisée dans les combinaisons bourgeoises pour qu'elle s'y vautre, fut au mieux réticente, au pire hostile jusqu'à utiliser une terminologie raciste utilisée aussi contre les populations à qui cette musique toute neuve, mais pétrie d'histoire.

Miles Davis, Max Roach, Sam Rivers, Ornette Coleman, John Zorn, Brandford Marsalis, Hélène Labarrière ou David Toop - qui a été le premier a écrire un livre ambitieux sur le sujet : Rap attack -, pour en citer quelques-uns, affichèrent immédiatement mieux qu'un intérêt fort, mais une folle curiosité jusqu'à souhaiter amoureusement s'y coller. Le rap, alors sauvait quelque chose, une grande histoire. « Meditations on Integration » avait chanté Charles Mingus (source d'inspiration de nombreux rappeurs).

Recherche effectuée, l'arrière petit fils de Buddy Bolden ne travaille pas à la préfecture d'Angoulême, un arrière petit neveu d'Hugues Panassié peut-être.

Retour à la boutique des Allumés du Jazz le 1er juin. L'1consolable entame son récit où les valeurs des autres sont les nôtres. Il ne s'agit pas de la rencontre de deux musiques, mais au travers de son talent, de celle d'une multitude d'îles musicales allumées du Jazz. Il s'agit immédiatement de la possibilité que l'abâtardissement de toutes ces îles crée d'autres mondes. 

Monde des samples, où se côtoient, se mêlent, s'interrogent, valsent les étiquettes et les genres, où les sous-musiques, si heureuses de cet état aussi souterrain que souverain, fournissent la bande-son d'un monde débarrassé de toutes les hiérarchies. Toutes ces maisons de disques s'allument bien ensemble, si bien ensemble.

Monde des textes, qui révèle à ces plages les sens qu'elles nous avaient cachés et que l'1consolable déchiffre, où l'oppression policière rejoint celle subie par les animaux, des histoires d'oncle mélomane ou d'autres revendiquant l'éco-terrorisme. Les musiques des autres sont les nôtres et elles portent une plus grande respiration dans la joyeuse contamination de toutes les sous-expressions que condamne l'autoritarisme satisfait d'un monde organisé pour ne rien faire. Encore un truc de pape.

Retour au conte, tenu au long cours par l'1consolable. Près de deux heures de toutes les différences, de toutes les harmonies, de toutes les harmonies différentes, piochées dans des centaines de disques allumés du Jazz. Il était une fois des disques écoutés : tout ce qu'ils délivrent. Il était une fois des disques partagés : tout ce qu'ils lient. La boutique des Allumés du Jazz héberge tout cela, alors on se demande quel espace elle occupe. Puis on le vit.

Parenthèse d'histoire courte : les disques seraient en crise. Tiens comme la démocratie électorale, le climat, l'adolescence et la quarantaine, la papauté, la confiance dans les institutions, ou l'économie. Causes communes ? Les crises ne sont que l'invention d'une défiance face à un monde dont on refuse d'avouer qu'il est animé. Les disques ne s'animent pas tout seul, ils ne rentrent pas en crise seuls.

Toute la boutique scande les quatre syllabes de l'1consolable, qui finit enfin par se présenter, après avoir détaillé tous les autres Allumés à travers les sons des musiques qu'ils ont animées, en d'autre temps et d'autres espaces. Le conte se finit contre l'histoire : les papes font taire les sous-musiques et n'échantillonnent que d'autorité. Les papes votent, depuis deux millénaires. Il s'agissait ce 1er juin de bien d'autre chose, comme de répandre une épidémie modeste où nos valeurs ne sont plus vraiment les nôtres, où nous n'avons de propre que ce qui appartient aussi aux autres.

Alors apparaît Lady Solo...
                                                                                                                                  à suivre

À écouter : "Du fond de mon enfance" par L'1consolable, samples de " Rawalpindi Blues" (in Over the hills - IMR), "Derbuka / Zarb" (in Percussions du monde, Pablo Cueco & Mirtha Pozzi - Buda Musique) "Le pendule du fou" (in Algèbre, topologie d'un manège, François Cotinaud, Musivi), "Portes fenêtres" (in El Hal, Yoram Rosilio & Redouane Bernarz - Le fondeur de son), "Margaret Orange" (in Chant général, Olivier Bost, Clémence Cognet, Clément Gibert- Arfi) - Le Mans 1er juin 2024
Lien d'écoute
La discographie de l'1consolable

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