Dans le Journal des Allumés du Jazz n°29 (2ème trimestre 2012), Nicolas Spathis, professeur d'université, faisait le point sur la situation mal connue de la dette de guerre allemande envers la Grèce. Un article bon à rappeler ces jours-ci.
Toutes les guerres, comme celle déclarée par l’Allemagne en 1939–1945, ne peuvent se faire sans les ressources humaines, technologiques et financières. En 1939, le régime nazi peut compter sur sa propre population ainsi que sur l’aide des armées des pays occupés. Pour les ressources technologiques, il peut compter sur les entreprises souvent étrangères qui investissent depuis plusieurs années sur le territoire allemand (IBM-Dohomag automatismes, ITT télécommunications, FORD-Werke, GM-Opel, voitures – camions – chars – moteurs d’avions, IG-FABERN chimie et recherche sur les prisonniers, Standard Oil, …). C’est la politique de la liberté d’entreprendre qui trouve des défenseurs acharnés parmi les dirigeants des grandes entreprises et hommes politiques après la grande crise de 1929, le plan Young aidant. Pour les ressources financières, déjà en janvier 1939, le président du directoire de la Richesbank avertit A. Hitler « il n’y a plus de devises ni de réserves à la banque. Les réserves constituées par l’annexion de l’Autriche et par l’appel aux valeurs étrangères et aux pièces d’or sont épuisées. Les finances de l’état sont au bord de l’effondrement ». Ainsi, les victoires de l’armée allemande sont suivies par le pillage systématique des pays occupés. Une gigantesque chasse au trésor est organisée (lingots, pièces d’or, devises, bijoux, et chose macabre, les dents en or des prisonniers). A son tour, Mussolini, en octobre 1940, essaie d’envahir la Grèce. Ses armées sont repoussées et poursuivies jusqu’à la mer de l’Albanie. A son tour l’armée allemande attaque la Grèce et l’envahit en juin 1941. L’envahisseur ne s’attend pas à une résistance si importante de la part d’un si petit pays (7,5 millions d’habitants à l’époque). L’armée d’occupation procède de la même manière aussi en Grèce. La Grèce est pillée et dévastée comme aucun autre pays. D’après un rapport de la Croix Rouge, pendant la période de 1941-1943, au moins 350 000 Grecs sont morts de faim, résultat du pillage de toutes les ressources agricoles et industrielles pour les besoins de la Wehrmacht (à ce propos, Joseph Goebbels dans un de ses discours dira que le peuple allemand sera le dernier à mourir de faim !). Durant la Seconde Guerre mondiale, la Grèce a perdu 13% de sa population. Les Allemands ont tué les habitants de 90 villages et villes, ont brûlé 1700 villages et souvent ont exécuté les habitants. Pendant l’occupation, les réserves en or et en devises sont volées, et ensuite un prêt (prêt d’occupation) de plusieurs millions de DM est consenti par le gouvernement des collabos en Grèce. La Grèce, d’après les rapports de l’ONU, est le troisième pays le plus touché par la guerre (après la Pologne et l’Union Soviétique).
A propos de l’or : en 1945, les alliés estiment que les réserves des nazis dans les banques suisses sont entre 200 et 398 millions de dollars-or. Une négociation s’engage à Washington, elle durera 68 jours ! Finalement, les banques suisses paieront 58 millions de dollars en 1946 pour solde de tout compte ! En septembre 1946 (c’est déjà la guerre froide !), une commission tripartite (USA, France, Grande-Bretagne) est mise en place pour examiner les demandes des gouvernements et non pas des personnes privées, en vue de la restitution de l’or volé. Une dizaine de pays ont revendiqué leur dû, parmi eux la Grèce. A propos du prêt (d’occupation) : les gouvernements grecs, à plusieurs reprises, ont demandé à l’Allemagne le remboursement du prêt mais sans succès. Cas unique, le chancelier Ludwig Erhard a promis le remboursement après l’unification de l’Allemagne ! La Seconde Guerre mondiale se termine par une série de capitulations, mais n’aboutit jamais à un traité de paix. Un traité avec l’Allemagne devient possible après la chute du Mur de Berlin et la réunification (Convention de Moscou du 12 septembre 1990 signée d’une part par les deux Allemagnes et d’autre part par les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne et l’Union Soviétique). Faute de mieux, cette convention peut être considérée comme le traité de paix mettant officiellement fin à la Deuxième Guerre mondiale. Mais quid des réparations ? Tout ceci n’explique, ni n’excuse la politique vassale, et catastrophique pour le peuple grec, suivie par les gouvernements successifs grecs pendant soixante ans. Depuis son entrée dans la Communauté Européenne en 1980 (de 1980 à aujourd’hui, le déficit est passé de 22% à 127% du PIB), la Grèce a accepté le démantèlement de son agriculture et de son industrie. Par exemple : en 1980, l’agriculture grecque était légèrement excédentaire ; trente ans plus tard, la Grèce importe une grande partie des produits nécessaires à sa propre consommation. Sous la houlette de la Commission, la Grèce a supprimé la culture et la transformation des produits tels que tabac, coton, lin, sucre, agrumes, fruits...
Nicolas Spathis