A l'occasion de la sortie du dernier solo de Claude Tchamitchian "In Spirit", a lire, ce très beau texte par nato :
"Qu’advient-il de son instrument lorsqu’un musicien disparaît ? La guitare de Jimi Hendrix, le piano de Claude Debussy, la guitare de Georges Brassens, les manuscrits de Nadia Boulanger ou le saxophone de John Coltrane entrent au musée où la vie se fige. Certains échappent à la tentation cryogénique, d’aucuns diront façon d’histoire, pour rejoindre d’autres bras, d’autres doigts, d’autres esprits, d’autres cœurs. C’est le cas d’une contrebasse de Jean-François Jenny-Clark, contrebassiste sublimement impliqué (imbriqué même) dans l’histoire du jazz, confiée à un autre contrebassiste de la génération suivante, musicien de nécessaire implication, de cœur actif. Le 12 mars dernier au studio 106 de Radio France, Claude Tchamitchian, invité d’Anne Montaron dans l’émission À l’improviste, se présente avec la contrebasse de Jean-François Jenny-Clark, dit JF, pour un concert solo d’une courte heure. Le 12 mars, c’est aussi l’anniversaire de Jack Kerouac et c’est par un hasard assez objectif que cette phrase de l’auteur du rouleau Sur la route vient à l’esprit : « Au fond, qu'est-ce qui est arrivé après ? - voilà la seule raison d'être de la vie ou d'une histoire. ». Par la grâce de l’instrument, l’après est ce jour-là un étourdissant déploiement de présent. Accordée autrement, travaillée autrement, aimée autrement, cette basse permet à Claude Tchamitchian (dont on ne dira jamais assez que son Another childhood* est l’un des très grands albums de contrebasse solo de l’univers du jazz - ou du jazz de l’univers), de se quitter lui-même pour se retrouver ailleurs, pleinement ailleurs. Dès les premières notes, on est happé par la profondeur immédiate du geste, une forme d’impatience retenue mais illuminée, la détermination d’explorer la confidence. Tout semble neuf et pourtant tout est intensément gorgé d’histoire, la témérité est délicate, l‘acuité limpide et l’intensité évocatrice foisonnante ; l’exercice pouvait sembler périlleux, il n’en est rien, il dépasse largement le défi initial, le rituel même, pour un tissage (maîtrise de l’archet) de tous les multiples franchissant un seuil où s’affirme la visionnaire osmose, là-haut à voix basse."
Diffusion sur France Musique le 5 avril 2018 à 23H
Posté par nato le 31 mars 2018
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