Musiciens / Musicians
Daniel Paboeuf, Florian Marzano, Laetitia Shériff, Régis Boulard, Stéphane Fromentin
MOWNO (06/10/23)
TRUNKS, 20 BALAIS ET DES POUSSIERES
Trop peu de villes en France peuvent se vanter d'évoluer sur un terreau rock si fertile que ses musiciens vont et viennent, se croisent et collaborent, multiplient les projets contribuant à la richesse musicale de leur cru. A ce titre, Rennes est sans doute le berceau le plus douillet pour les musiques électriques de l'Hexagone, et tous les membres de Trunks ont assurément oeuvré à cette vitalité jalousée. Réunis pour la première fois en 2003 à l'occasion du cinquième anniversaire du Jardin Moderne, un des théâtres de toute cette émulsion, Laetitia Sheriff (ici à la basse), le batteur Régïs Boulard (NO&RD, Sons Of The Desert), et les guitaristes Régis Gautier (Moller Plesset) et Stéphane Fromentin (Ruby Red Gun, Yes Basketball) découvrent une telle alchimie que poursuivre l'aventure sonne comme une évidence. Quatre ans plus tard, Use Less inaugure logiquement la discographie du groupe et marque d'abord le départ de Gautier remplacé par Florian Marzano (We Only Said), puis l'entrée prépondérante du saxophoniste Daniel Paboeuf (Marquis de Sade) dans la ronde. Au bout d'une instabilité propre aux musiciens rarement rassasiés, Trunks entérine donc sa formation et, en 2011, signe On The Roof, un deuxième album qui suinte le plaisir, l'émotion, et la quête perpétuelle de sensations.
Depuis, si ce n'est un split partagé avec Filiamotsa et quelques brèves collaborations chez les uns ou chez les autres, Trunks s'est fait très discret, chacun ayant principalement vaqué à ses occupations respectives jusqu'à ce que l'envie et l'opportunité se retrouvent au même moment devant la porte du local. Réunis autour de Thomas Poli - ingé son ayant pris le relais de Peter Deimel, à l'oeuvre sur On The Roof - les cinq rennais sont donc repartis d'une page blanche au lendemain d'une période pandémique qui, forcément, a rebattu les cartes de l'inspiration et offert quelques mains gagnantes. Car chez Trunks, on ne sort pas des disques pour sortir des disques; on prend le temps de parfaire ses mélodies, de peaufiner son écriture, de soigner ses arrangements, de planter un décor bien à soi. Autant d'atouts qui font de We Dust un album hors du temps, défilant en marge de tendances se passant le relais sur le sillon de l'éphémère.
Nourri à l'indie rock, à la pop, au post rock, au noise rock voire au free jazz, Trunks revendique une nouvelle fois ici sa liberté en huit nouveaux titres qui ne se laissent véritablement apprivoiser qu'au fil des écoutes. Entame aguicheuse, Les Belles Choses combine d'emblée tout ce qui fait le sel du groupe. Riche et complexe tout en restant accessible (What Is Fantasy, What Is Real), parfois ornée d'étonnants retournements de situation (Edgeways), la musique des rennais emmène alors l'auditeur sur des chemins escarpés où la norme n'existe pas mais où le saxophone est roi. Pourtant loin d'être omniprésent, et jamais dans la démonstration, c'est souvent Daniel Paboeuf qui donne le ton ici, qu'il soit au premier ou au second plan, qu'il s'exprime ouvertement sur quelques titres instrumentaux (Norbor, O.B.O.), ou qu'il se mêle avec finesse au chant d'une Laetitia Sheriff sans pareil dès qu'il s'agit de dompter une mélodie dans un contexte imprévisible.
Jamais très éloigné de ses contemporains de Prohibition, parfois proche de Menomena (Memotrunks), Trunks rappelle ici l'absolue nécessité de créer pour soi. Dégagé de toutes aspirations opportunistes, les Rennais affûtent une nouvelle fois leurs atouts, ceux qui depuis leurs débuts contribuent à les rendre si singuliers qu'ils ne peuvent laisser indifférents. Créer l'osmose, passer par quatre chemins, attiser la curiosité en allant chercher le meilleur de soi-même sont autant de principes dont ne peut se nourrir qu'un groupe armé d'une expérience et d'un savoir-faire maintes fois prouvés.
Matthieu Choquet
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