Réponse à la Mission Création et Internet - Patrick ZELNIK, Jacques Toubon, Guillaume CERUTTI
Faisant suite à votre courrier en date du 22 septembre dernier, vous trouverez ci-dessous les éléments de réponses apportées par l'ensemble des fédérations suivantes et dont vous trouverez en annexe un court descriptif :
- CD1D
- Feppia (Fédération des Editeurs et Producteurs Phonographiques indépendants d'Aquitaine)
- Feppal (Fédération des Editeurs et Producteurs Phonographiques indépendants des Pays de Loire)
- Feppra (Fédération des Editeurs et Producteurs Phonographiques indépendants de Rhône Alpes)
- Phonopaca (Groupement des acteurs de l'Industrie Musicale en Région Provence-Alpes-Côte d’Azur)
- Les Allumés du Jazz
ainsi que la FELIN – Fédération nationale des Labels INDÉpendants.
Monsieur le Ministre,
Messieurs les Présidents,
Nous tenions tout d'abord à vous remercier de nous associer à cette concertation car nos labels n'ont eu que trop peu d'occasions par le passé, de s'exprimer et par conséquent d’être entendus sur les sujets qui les concernent.
Ces labels dont le nombre varie entre 600 et 1000 (source : Officiel de la Musique) mais que certains estiment à 2 000 sont, quasi tous, de Très Petites Entreprises ou des Associations Loi 1901. Ils produisent 90% de la création originale, soit généralement les premières, deuxièmes ou troisièmes oeuvres d'artistes venus de tous horizons et de toutes esthétiques musicales. Ils représentent la véritable diversité culturelle que la France se flatte de défendre.
Depuis maintenant plusieurs années, ces labels s'organisent. Car face à la baisse continuelle du marché et témoins d’un débat tronqué, opposant de manière stérile l'industrie du disque et le public, - industrie à laquelle nos labels sont plus ou moins justement associés - les dégâts sont d’ores et déjà considérables.
A ce jour, ce sont plus de 200 labels qui, tant au travers d'initiatives régionales que nationales, ont mis en place des actions concrètes dans le domaine de la musique enregistrée. De cette dynamique émerge la volonté d’une structuration nationale nouvelle, plus proche encore de leurs problématiques.
Et c'est pourquoi les réponses qui vont suivre vous sont adressées de manière unifiée par l'ensemble des fédérations, afin de dresser un panorama des pistes restant à explorer de manière positive et volontariste.
S’il s'agit de faire entendre nos voix, et de partager nos préconisations et nos solutions qui sont multiples, nous pensons pouvoir contribuer à renouer un lien cassé (le mot n'est pas trop fort) entre l’industrie de la musique et le public. Nous souhaitons participer activement à l'opportunité de dialogue qui s’ouvre aujourd'hui, et nous apprécierons de poursuivre cette première participation, que nous n’avions pas anticipé sous cette forme, par une audition de la commission. Nous ne comprendrions pas qu'une part significative du tissu productif français ne soit désormais pas pris en compte dans les discussions et les élaborations de possibles solutions. La situation de nos métiers, tant économique qu'en terme d'image, est très dégradée. Il y a fondamentalement urgence à sortir de tout dogmes, de toutes postures.
Il y a quelques mois déjà, nous avons été plus de 150 labels à signer le texte "Hadopi : la création sacrifiée" publiée en mai dernier par le quotidien Libération et dont vous trouverez ci-après une copie.
L'une des idées fortes est d'élargir les bases de réflexion en intégrant le disque physique. Aujourd'hui encore, le disque physique représente près de 80% du marché. Même en baisse constante et forte, il est désormais acquis qu'il ne disparaîtra pas. Tout comme ne disparaîtra pas la presse papier dont on voit qu'en évoluant, elle regagne des parts de marchés alors que les sites gratuits d'informations ferment, deviennent payant ou créent leur version papier (cf, Bakchich Info, Mediapart...).
De plus, diverses expériences que nous menons, au travers de nos fédérations, en régions (vente en librairie, sur les festivals, dans les salles de concerts, plateforme commune de vente en ligne -cd1d.com, etc...) tendent également à montrer l'intérêt du public pour le support physique, y compris parmi les jeunes générations.
Mais la raréfaction des points de vente, une offre en rayon qui se rétrécit de jour en jour, ainsi qu'un dénigrement du support contribuent à la baisse du marché, plus qu'il n'en est une conséquence.
Cette question de la multiplicité des supports est essentielle et doit absolument être intégrée aux réflexions, tout simplement parce qu'elle entraîne la multiplicité des sources de revenus, permettant ainsi de conforter au lieu de fragiliser nos structures.
Vous trouverez donc parmi les propositions que nous faisons des mesures concernant également le disque physique.
1/ Comment répondre aux attentes des internautes en matière de développement de l'offre culturelle légale sur Internet (notamment musique, cinéma, livre et presse)?
- en permettant la diversité de l'offre : plus elle se réduit, moins elle est attractive, plus elle incite à "regarder ailleurs", soit : à pirater.
- en cassant le monopole (de fait) d'un seul. Itunes = le même magasin pour tout le monde.
- en redonnant au producteur la liberté du prix. Les prix imposés par la grande majorité des plateformes sont un non-sens.
- en permettant une écoute plus longue que les actuels extraits de 30 secondes sans pour autant donner lieu à redevance. Le public veut désormais pouvoir écouter avant d'acheter.
- en définissant avec les syndicats et organismes d'auteurs / compositeurs une juste rémunération des artistes. Il n'est pas normal que, sur l'offre numérique, les royalties versées aux artistes soient bien souvent les mêmes (quand elles ne sont pas inférieures via la clause dite du "support nouveau") que pour les disques physiques. Cet état de fait accrédite dans le public l'idée que les artistes sont volés par l'industrie. Et n'incite donc pas à l'acte d'achat. L'industrie de la musique doit faire une véritable opération main propres!
- en obtenant des plateformes de téléchargement qu'elles proposent à leurs clients la possibilité de télécharger à nouveau leurs achats (perte/changement de matériels : téléphone/ordinateur etc..)
- en organisant la disparition définitive des DRM.
- en évitant les erreurs du passé dans le physique qui ont contribuées à la dévalorisation de l’œuvre : yo-yo sur le prix de vente (opé mid-price 4 mois après la sortie)
- en donnant l'accès à la discographie complète des artistes (ne plus jouer sur la rareté)
2/ Dans les domaines qui vous concernent plus particulièrement, quelles sont les contraintes et les problématiques émergentes en matière de diffusion sur internet (évolution technologique, financement, etc...) ?
Concernant internet ET le support physique, le principal frein reste l'accès aux magasins. Tant pour le numérique que pour le physique, nous assistons à une concentration problématique de l'offre et des mises en avant.
La rentabilité à court terme ne permet plus, aujourd'hui, le développement artistique. Il est désormais difficile à un jeune artiste dont on peut percevoir au travers de sa musique, d'indéniables qualités mais qui ne sait, du fait de sa jeunesse ou de son inexpérience par exemple, encore totalement les exprimer. Les génies sont rares mais les talents multiples qui ont besoin du temps pour se développer, et du public pour les y aider. Les réductions de l'offre empêchent dramatiquement tout cela.
3/ Comment favoriser le développement des offres culturelles légales sur internet ?
- stopper le modèle streaming (deezer et consort) qui permet un accès illimité et gratuit aux internautes et accrédite l'idée que la musique ne vaut rien !
- introduire des bornes de ventes dans les lieux de diffusions : disquaires, salles de concerts, etc...
- soutenir financièrement les initiatives d’offres légales indépendantes, collectives (fédérations, collectifs) ou individuelles (labels, producteurs, artistes)
- baisser la TVA sur la vente de musique enregistrée (physique et numérique) à 5,5%, comme le livre.
4/ Comment garantir la diversité de ces offres et assurer l'émergence de nouveaux talents ?
- Il est bien évident qu'aujourd'hui, Itunes et, par conséquent Apple, sont proches d'une position dominante qui ne peut être que contraire à la diversité culturelle.
- Le nombre de mises en avant est compté, eu égard à la production actuelle.
- le public est donc face à un seul magasin proposant la même offre, les mêmes promotions, les mêmes mises en avant à tout le monde.
- certaines esthétiques sont quasi absentes, en contradiction avec le devoir de diversité culturelle et d'éducation du citoyen
- il n'est plus question des spécificités locales d'un territoire, c'est à un véritablement nivellement auquel le public a droit. Nivellement vers le bas par conséquent.
- Pour autant faut-il promouvoir des plateformes publiques de téléchargement comme on commence à l'entendre ? Ces plateformes seraient principalement ouvertes à la création et à la diversité.
Nous y sommes opposés, il n'est pas question que nos productions, notre travail qui, rappelons-le, constituent la véritable diversité culturelle musicale dans ce pays, se retrouvent dans une sorte de réserve ou, pire, de parc de loisirs. Nos musiques ne sont pas des sous-musiques, ni des bêtes curieuses.
- Comme ce fut le cas par le passé pour la radio, il doit être imposé une place conséquente réservée à la diversité dans les offres légales, en même temps que doivent être promotionnées les plateformes alternatives actuellement existantes et qui, tout naturellement, consacrent déjà une grande place - voire toute leur place - à la diversité.
Le public doit savoir qu'il existe des offres alternatives.
• Certaines de nos fédérations travaillent à la création de plateformes régionales de téléchargement et de ventes de disques physiques, en lien avec CD1D (www.cd1d.com). Elles doivent être soutenues.
• il faut également permettre au public d'écouter avant d'acheter ; l'extrait de 30 secondes que les sites en ligne proposent (parce que gratuit) est inadapté à la technologie actuelle. Il doit donc être prolongé à 2 minutes sans donner lieu à paiement d'une redevance à la sacem.
• les actuelles offres "illimités" - que nous n'avalisons pas parce qu'elles contribuent à la dévalorisation de la musique - ne concernent très souvent qu'un seul catalogue, très généralement celui d'un grand groupe. Cette pratique tend là encore à inciter le public à "pirater" car payant déjà pour une offre incomplète, il ne se voit pas payer en plus pour ce qu'il n'y trouve pas.
La segmentation du marché au profit de quelques-uns doit donc cesser.
• les actuels quotas de chansons d'expression française à la radio doivent évoluer vers un quota d'artistes émergents qui ne soient pas issus des grandes compagnies du disque.
• la télévision publique notamment doit accorder plus de place à la musique et surtout à la création.
• supprimer le droit de tirage de la sccp
• étendre aux producteurs ayant fait le choix d’une structure associative le droit aux aides à la production auprès du FCM par exemple.
5/ Quelles actions incitatives les pouvoirs publics peuvent-ils mettre en oeuvre dans ces domaines ?
Nous pensons que le public est toujours prêt, dans sa grande majorité, à payer pour la musique. Le tout étant de savoir combien ?
Les politiques catastrophiques menées par les grands conglomérats du disque ont très largement contribué à participer à la dévalorisation de la musique. Par un discours souvent irresponsable (de quel droit peut-on traiter le public de "voleurs" ?), ils ont braqué l'opinion publique, désormais persuadée -y compris les associations d'internautes et de consommateurs- d'être eux-mêmes volés.
Depuis, les accords passés avec des sites dits de streaming enfoncent le clou : la musique est désormais gratuite, ce légalement. La contrepartie pour les artistes et les producteurs est ridicule : moins de 0,001€ l'écoute (Deezer). Ces sites ne sont pas des radios dans la mesure où l'on peut écouter ce que l'on veut, quand on veut et où on veut.
Mais au delà de cette rémunération, c'est bien la question de la gratuité qui est posée, Cette gratuité qui amène une complète dévalorisation de la musique aux yeux du public et qui pose, surtout la question : pourquoi acheter sur des sites payants quand je peux écouter gratuitement ?
Il ne pourra y avoir aucun développement d'une offre payante, viable pour chacun, tant que dureront ces offres gratuites.
Les pouvoirs publics doivent élargir leur discours en direction du public vers nos TPE et Associations Loi 1901. Le seul affichage avec les grands conglomérats du disque ne relancera pas la confiance très entamée du public.
Nos TPE et Associations Loi 1901 sont la plus grande maison de disques de France, des artisans amoureux de la musique, des artistes et de leur travail, qui veulent que soit reconnu leur rôle primordial dans la diversité :
- sensibilisation du public sur le rôle des acteurs de la filière et valorisation de leur travail
- information du public en particulier des jeunes sur le process et les coût de la création ; décryptage des prix et des répartitions.
- valorisation de la création au lieu d’en faire une marchandise télévisuelle (star’ac et compagnie)
6/ Quels sont les modèles possibles de financement des industries culturelles ?
- instaurer une redevance sur le chiffre d'affaires des FAI pour être redistribuée aux producteurs, selon un modèle différent de celui de la copie privée qui n'amène que des miettes aux petits producteurs indépendants. Ainsi qu’un dédommagement pour ces années (leurs bénéfices doivent pouvoir être accessibles) où elles ont grandement participé à l’effondrement de notre économie, causant des pertes et des dégâts irréversibles,
- réintroduire et développer le réseau de diffusion du disque physique avec des disquaires indépendants mais également d'autres commerces de proximité tels les libraires, video-clubs ou salles de concerts.
- lutter contre l'atrophie actuelle de l'offre physique dans les chaînes existantes.
- adapter le système de perception et de répartition de la Sacem aux nouvelles technologies ; il n'est pas normal que la grande majorité des radios, par exemple, paye un forfait qui ne sera pas réparti suivant leur véritable programmation. Avec la technologie actuelle, il est tout à fait possible de tracer les diffusions de toutes les œuvres produites et de repartir les droits aux véritables ayant droits, y compris dans un futur proche, pour toutes les radios. La Sacem doit investir massivement.
- enlever les freins à l'utilisation des licences sous Creative Commons pour les artistes et les producteurs qui le souhaitent.
- adapter la Convention Collective de l'Industrie Phonographique à nos TPE et Associations Loi 1901.
- adapter le crédit d'impots aux TPE et aux Associations Loi 1901 :
- annuler la condition de langue.
- adapter les délais de remise des dossiers (actuellement trop longs)
- introduire le prix unique du disque qui permettra de favoriser la création d'un tissu de disquaires et de plateformes alternatives.
- concernant les licences globales, contribution créatives ou autres, elles ne peuvent en aucun cas constituer l'unique source de revenus. Le système de reconnaissance et de comptage d'échange de fichiers ne saurait donner lieu à un système de répartition calqué sur celui de la copie privée dont on sait qu'il n'est pas juste et n'est actuellement d'aucun secours pour les TPE et Associations Loi 1901.
Enfin, il faut se poser la question de la fiabilité de ce comptage dans la mesure où il existera très probablement des logiciels permettant d'augmenter artificiellement les échanges de fichiers (comme cela se passe déjà sur les écoutes MySpace).
7/ Comment assurer une juste rémunération des artistes et des producteurs de contenus culturels ?
Un vaste débat public réunissant tous les producteurs et les artistes doit s'engager afin de développer la transparence sur les rémunérations de chacun, rémunérations qui doivent s'adapter aux nouvelles technologies mais également à la situation de l'économie de la musique enregistrée.