Antonin Artaud a dit « Les chefs d'œuvres du passé sont bons pour le passé ». Cette phrase a été reprise ou adaptée par d'autres artistes ensuite. Résonne-t-elle aujourd'hui lorsque l'offre culturelle, toutes périodes confondues, est massive, et est-elle apte à marquer le temps ?
C’est un vieux débat sur l’intemporalité, sur l’universalité de l’oeuvre. Mozart oublié, puis véritable star du XX ème siècle, Vivaldi oublié, puis redécouvert comme un grand compositeur aujourd’hui. Quel sens a Mozart pour les Pygmées ? Je fuis les œuvres d’Art « universelles » ! Elles empêchent de ressentir, de penser. L’humanité a besoin de sacraliser, de déifier, Dieu (!), Mozart, Bach, Coltrane, Claude François, les Beatles…mais a aussi besoin de renouvellement… Charlie Parker, a dit du bop qu’il n’était pas l’enfant naturel du jazz. Il a rencontré Varese, aimait Hindemith, voulait étudier la composition au conservatoire de Paris. Cet exemple éclaire, ô combien sur les tentatives de débats récurrents sur l’authenticité, la pureté. On réécrit l’histoire en permanence. (1)
« Le be bop n’est pas l’enfant d’amour du jazz, dit Charlie Parker. Le créateur du bop, dans une série d’entretiens qui ont duré plus de deux semaines, nous a dit qu’il pensait que le be bop était entièrement séparé et à part de l’ancienne tradition ; qu’il avait peu à voir avec le jazz et n’y avait pas de racines ».
Le style est-il une nécessité ou un poison pour la musique ?
Le style, est surtout une nécessité pour les historiens, les journalistes, les spectateurs. Ce n'est a priori pas la préoccupation d'un artiste d'appartenir à un style (qui souvent d'ailleurs ne préexiste pas), sauf à s'inscrire dans un mouvement (De stijl, Fluxus, Dogme 95...). Charlie Parker, Monk, Axel Dörner, Steve Coleman, sont la concrétisation sensible d'une recherche. Cette recherche peut passer par divers canaux : de manière intellectuelle par la conceptualisation, ou sensible, provoquée par une part de hasard, d'amnésie, de folie avec ou sans drogue, de handicap, de mise en danger de soi... Mais il faut reconnaître que dans la vie de tous les jours, face à la quantité d'informations qui nous parviennent, nous avons un besoin vital de raccourcis, de canaux. On ne peut humainement pas tout remettre en question, nous cherchons à gagner du temps, à économiser de l'énergie. On classe, on crée des tiroirs, qu'on étiquette et dans lesquels on range. Paradoxalement, l'art se nourrit de ces remises en questions car c'est en sortant des sentiers battus que l'on découvre, redécouvre, pose un regard neuf.
L'imitation peut-elle être un passage menant à l'invention ?
L'être humain est complexe : il a besoin de référents, puis il a besoin de « tuer le père », et parfois de le retrouver; il a aussi besoin de culture, de connaissances, de consolidation, mais aussi d'amnésie, de hasard, d'inconnu, d'aventure. Ce qui fait la richesse de l'humanité, c'est cette singularité des parcours dans toutes ces étapes. L'imitation est un terreau pour l'apprentissage oral partout dans le monde y compris pour les autodidactes, ceux qui n'ont pas accès à l'école de musique ou ne veulent pas se soumettre à son fonctionnement. Elle permet d'appréhender et d'assimiler différentes techniques de manière sensible ou en tout cas plus sensible que lorsqu'elle est théorisée. A ce titre, Internet pour les autodidactes, pour les gens qui ne sont pas « nés dans le milieu » est une chance inouïe pour les générations actuelles qui n'ont pas forcément accès aux concerts. Elles y trouvent presque tout, la musique y est en mémoire. Le problème survient lorsque l’imitation devient une obsession. Il est de notre responsabilité d'artiste et aussi par respect pour le public, d'en sortir, de chercher au fond de soi-même, de se mettre en danger. Lorsque j'enseigne, je préviens d'emblée les élèves : «l'approche que je vous propose est UNE parmi d'autres, jouez le jeu le temps de la séance, mais ne prenez pas tout ce que je dis comme la vérité. Prenez ce qui vous parle, analysez ce qui vous trouble, vous dérange, allez voir ailleurs et forgez votre propre opinion ».
L'assertion de Richard Wagner : « La musique commence là où s'arrête le pouvoir des mots » est-elle encore d'actualité ?
En tout cas, il est délicat de parler de musique, art abstrait par excellence, indicible paraît-il et de plus furtif. Comment décrire l'abstraction, l’impalpable ? En lui accolant des images ? En général, lorsqu'un musicien en parle, c'est de manière technique, contextuelle ou historique. Décrire son propre projet est une des choses les plus difficiles qui soit. En général, on parle de son environnement, technique d'approche qui exprime plus souvent mieux le sens, la substance, que lorsque l'on tente une description. Pourquoi ? Peut-être parce que l'art de combiner les mots est un art d'historiens, de chercheurs, de poètes, d'écrivains, de journalistes. Certains le sont également. Mais à la réflexion, toute forme d’art est confrontée à la réduction de l’œuvre par les mots. Donner un bel avant-goût d’une exposition, d’un concert, d’un film est un défi.
Où va-t-on ?
Suivant les jours :
- Nul ne le sait
- Là où on le décide
- Nulle part
- Comme le dit un ami : demain est un autre moi-même, donc cette question est inutile.
(1)No Bop Roots In Jazz : Parker by Michael Levin and John S. Wilson
« Bop is no love-child of jazz, says Charlie Parker. The creator of bop, in a series of interviews that took more than two weeks, told us he felt that bop is something entirely separate and apart from the older tradition; that it drew little from jazz, has no roots in it. »
Consultable ici : http://downbeat.com/default.asp?sect=stories&subsect=story_detail&sid=998 « universelles »
• Olivier Benoît : La pieuvre Ellipse (Circum LX002 - 2007)
• Olivier Benoît : La pieuvre 1999 2005 (Circum LX001 - 2007)
• Happy House : Inoxydable (Circum CIDI801 - 2008)
• Olivier Benoît : Serendipity (Circum LX004 - 2011)
• Olivier Benoît : Feldspath (Circum CIDI 1301 - 2013)