Artistes / Artists
Dominique Pifarély, Dominique Visse, François Couturier
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POROS EDITIONS
Que la poésie et la musique naissent de la même transe : bien sûr. Destins croisés, ceux de Paul Celan, Jacques Dupin, André du Bouchet. L’abîme le plus noir a emporté Celan, les deux autres furent ses amis. Un ami du minéral, des cimes, Du Bouchet. Et l’affrontement corps qui peut désigner l’œuvre grave de Dupin.
Ce qu’ils nous ont appris ? Parfois, sur une page de Du Bouchet, un seul mot. Cela peut être pente, cela peut être tumulte. Dans ses Carnets, des « notes sur l’espace ». Ce silence, qui nous traverse avant de parler, qui est la brisure même de l’instant de parler, que sauverons-nous de l’intention de nommer, de l’intuition ou de l’appel, dans l’étrangeté du mot qui nomme ? Si Mallarmé a tiré toute notre attention sur les processus de langue, les surréalistes ont reporté la langue au feu du monde. A ceux-là, une guerre plus tard, qui les a traversés comme tant, d’organiser ce rejointement. Alors, proche des peintres pour Dupin, marcheur comme Du Bouchet, interrogateur des limites pour Celan, un nœud les a pris et rassemblés.
Et eux, les musiciens, sont venus nous le redire. Nous le dire comme nécessité. Sans se tromper quant aux trois noms à prendre.
L’un est violoniste, l’autre est pianiste. Je répugne à ajouter « de jazz », ou de quoi que ce soit d’ailleurs. Ce sont des êtres de musique. Elle a forgé leur vie. Ils en savent les disciplines complexes, y compris d’harmonie et d’écriture. Ils sont en permanence sur les chemins du monde : je ne sais pas quelle est exactement leur géographie intérieure. C’est une affinité rare, ce risque de musique, et eux vont aux lieux où elle surgit, peu importe les trains, les avions, l’exiguïté d’un club dans l’immensité des villes, pourvu que vienne cet instant qu’on se jette.
« On était habités par cette nécessité, disent-ils, un ancrage dans le texte. » Et si le choix de Dominique Visse était lié, pour ce qui concerne Celan, Du Bouchet et Dupin, à ce blanc qui organise la part vierge des pages, à cet infini de souffle qui précède le mot, dans l’économie de son intervention sur la page ? Cette voix d’alto homme tient de l’onirique : elle est en nous comme notre inverse, bascule dans l’inconnu de nous-mêmes. Pour cela qu’ils nous fascinent, les haute-contre, et qu’ils soient si rares.
Et puis, dit Pifarély : « une économie, tailler, aller à l’essentiel », tandis que Couturier ajoute : « un trajet direct, tendu ». Les pièces sont écrites par le violoniste ou le pianiste, pour leurs instruments croisés. Et, pour ce qui concerne le chanteur : « des indications d’intention ». Et ces plages que les deux musiciens investissent parfois seuls, ou jouent de la proximité des tessitures de la voix et du violon pour brouiller les pistes : le violon se glissant dans l’intérieur de la voix du chanteur, ou bien le piano tournant autour, tout près, ou parallèle. Ou bien, cette fois concernant Dominique Visse : « introduire du bruit dans la voix ». Et que les choix de timbre, pour chaque syllabe, c’est sa façon d’improviser, à lui. Ainsi se construit un signe pour aujourd’hui. Un signe grave, qui concerne la limite, et l’espace. Qui concerne la langue et ce qu’elle retient, qui importe. Ce qui ne se dit pas, écrit Jacques Dupin : ce qui ne se dit pas / se donne / s’enfonce et resurgit / donne à glisser / donne et ne fixe rien. Et sur la partition de Dominique Pifarély viennent juste se rajouter deux indications : tacet, se taire, improv, jouer.
© 2008 François Bon