NAKED LUNCH (Ref. MJB 029-030 CD)

Concert de création enregistré le 15 juin 2011 à l'Arsenal, Soissons, France.
Prise de Son, Mixage : Franck Saugé
Mastering : Pascal Bréchet
Photos de Ludovic Delobe
Pochette de Juan Clemente
Illustration : Le Concert dans l'oeuf d'après Jérôme Bosch                             

Produit par le label Musivi, Jazz Bank.
Naked Lunch
 
Souvenons-nous de la toute fin des années 60 et du début des années 70, quand Miles Davis changeait de braquet pour passer à l'électricité : cela donnera In A Silent Way puis Bitches Brew. Souvenons-nous également quand, à la même époque, de l'autre côté de l'Atlantique le groupe de Canterbury Soft Machine (référencé à William Burroughs, comme l'est ce Naked Lunch) inventait un balancement rythmique particulier, permettant de réénergiser un jazz trop sclérosé par la répétition de structures immuables et déjà contesté par la free music et la new thing. On ne parlait pas encore de jazz-rock, et c'était tant mieux, car cette appellation allait vite connaître une impasse en privilégiant la forme et la technique au détriment du fond et du feeling.

Le travail de Pascal Bréchet se situe ici dans le prolongement de l'école de Canterbury et du Miles électrique, mais pas par nostalgie : Pascal pense sans doute comme moi que ces musiques n'ont pas donné tout ce qu'elles avaient à offrir, et qu'elles peuvent être encore aujourd'hui de formidables catalyseurs d'énergie et de créativité.

Naked Lunch a été enregistré le 15 juin 2011, à l'issue d'une résidence intitulée « Produire l'imprévisible », et il aurait été dommage que ce concert reste dans les tiroirs. Pascal dirige l'orchestre, signe les compositions (sauf Teeth écrit par Mike Ratledge et dont on entend une version dans le Soft Machine 4) et les arrangements. Ces structures viennent encadrer la musique sans excès, juste pour lui donner une direction, une architecture souple et non contraignante : les thèmes apparaissent souvent en cours de route, et ne font jamais obstacle à l'expression soliste des participants. 

L'Algèbre du Désir commence par la batterie, suivie par une envolée fougueusement rock de la guitare, qui donne le ton, avant un court thème quasiment be-bop, qui s'effondre brutalement pour laisser opérer la trompette dans un nuage électronique. La pianiste relance la vapeur électrique, et laisse s'échapper de la matière en fusion. Un saxophone s'émancipe (celui de Philippe Lemoine). Casablanca est comme une marche solennelle dans un paysage lunaire dévasté, ponctué d'électronique et traversé par un solo de contrebasse puis de clarinette. Missouri Express prend une allure nettement plus funk, L'Algèbre du Plaisir étire un blues fantomatique où François Cotinaud mène un moment la danse, La Compagnie des Enfants Farceurs déroule une guitare orientalisante soudain cassée par une poussée free de la part des soufflants. Teeth est fait d'éclats et de gerbes d'étoiles, avec une mention particulière pour le Fender Rhodes de Sophia Domancich (elle aussi férue de l'école de Canterbury), qui réussit à la fois à évoquer l'attrait de Mike Ratledge pour la répétitivité et à inventer toute autre chose.

Loin de moi l'idée de détailler davantage le contenu d'une musique dont je vous laisse la surprise, tant elle joue du plaisir de la bifurcation, un peu à la manière du cut-up (découpage de fragments) cher à William S. Burroughs.
 
Naked Lunch est un nouvel élément de choix à ajouter à la discographie de Pascal Bréchet.
 
Claude Colpaert