Un label né en 1985 conçu comme une rencontre graphico-musico-littéraire
L’aventure du label in situ commence presque clandestinement en 1985. Trois "rêveurs vivaces" (Didier Petit, Misha Lobko, Christine Janvier) organisent cette année-là les premières "Décades" de musiques improvisées dans la galerie parisienne de Maximilien Guiol. À cette époque, les musiques improviséeS sont moribondes en France et il n’existe pas de label comme il y en a ailleurs (Intakt, Leo records, Hat Hut…). Le projet attire alors quelques décortiqueurs de sons : Sakis Papadimitriou, Maggie Nichols, Marilyn Crispell, Steve Lacy, Phil Minton, Alan Silva…
Fin 1986, la fermeture de la galerie interrompt les "Décades", mais le rêve reste. Didier Petit, musicien, est impliqué dans les activités de l’IACP (créé par Alan Silva) et celles du label britannique Leo Records. Adda, distributeur de ce dernier pour la France, lui propose d’autres projets. En 1989, le premier disque in situ sort : Piano cellules de Sakis Papadimitriou.
La première définition du label par Didier Petit en 1993, était : In situ est une fabrique d’objets utopiques. Musiques brutes, intransigeantes, sauvages, rigoureuses, déterminées, historiques : une mémoire se construit, enracinée dans l’instant. (…) Meeting graphique, musical et d’écriture. Cette rencontre graphico-musico-littéraire demeure jusqu’à aujourd’hui la colonne vertébrale du label : le disque est pour Didier Petit le seul objet « bâtard » du 20ème (21ème ?) siècle, capable d’associer arts plastiques (les graphistes Toffe au début, Emilie Demarquay ensuite, puis aujourd’hui Jean-Yves Cousseau), littérature (l’écrivain Hervé Péjaudier) et musique.
Sur-le-champ, prend forme une idée de collection, qui s’organise autour de ces trois repères. Graphiquement, les disques conserveront longtemps un fond rouge, couleur chargée, dure, écartée à partir de 1995 (Periferia), au profit du jaune. Puis, avec l’arrivée d’Emilie Demarquay, la collection s’engage dans le parti pris de rendre compte au travers des photographies, des travaux de jeunes artistes liés aux mouvements du Land Art, de l’Arte Povera ou de l’Art Conceptuel. Des artistes qui tout comme les musiciens de la collection, utilisent les matériaux dans leur dureté, fragilité, mollesse, transparence, luminosité, etc. Aujourd’hui, avec l’arrivée de Jean-Yves Cousseau, la collection s’engage sur un travail graphique davantage lié à l’image, la typographie et la photographie, avec une sensibilité très urbaine.
Une ligne directrice bien définie
Musicalement, le choix du label est majoritairement celui de la pratique de l’improvisation en ce qu’elle a de plus vif, considérée comme une « traque paisible des musiques et des émotions rares au cœur des espaces où elles s’épanouissent, in situ ». Littérairement, les textes d’Hervé Péjaudier s’inscrivent tantôt en parallèle tantôt en décalage avec le contenu du disque. Ils exposent une perception, un point de vue politique, sans « jugement de valeur ». En 1993, avec l’arrêt d’Adda, le label connaît une période difficile, occasion de remettre les choses à plat. Avec une seule sortie en 1995, in situ redémarre doucement. Depuis le 1er janvier 2002, Didier Petit a transmis à Théo Jarrier la responsabilité de la direction artistique de la collection et l’histoire continue…
Le terme in situ est venu au cours d’une réunion avec Hervé Péjaudier, Toffe et Didier Petit. Il s’est imposé, parce qu’il s’agissait d’organiser l’espace et le moment, de le penser le plus possible, donc de le contrôler. Didier Petit a voulu revendiquer l’instant, le lieu, l’endroit, la situation et sa mise en forme. Au fil des sorties, les musiques sont devenues in situ. Il doit sans doute y avoir un certain nombre de terminologies pour définir les musiques produites par un label comme celui-ci. Théo Jarrier aime bien le terme de « musiques inespérées », faisant la part belle à l’improvisation.
Sur le catalogue de la collection, figure cette définition qui résume assez bien l’esprit du label : "Il faut garder en mémoire que la musique n’est pas seulement un art, mais aussi une image de la transformation du monde et de nous-même. In situ, c’est produire des disques en intégrant la pensée d’une alternative au cours du monde, une utopie qui permettrait une ouverture à la perception du son, à la joie pure de l’art et de la vie elle-même. Nous sommes les archivistes impatients de ce début de siècle".
Didier Petit ajoute : « Nous pensons très sincèrement que tous les disques de la collection s’écoutent dans un même état d’esprit. On peut par exemple considérer les œuvres contemporaines du disque d’Hélène Breschand comme des modèles, des standards, au même titre qu’« Epistrophy » ou « Lonely Woman » dans le jazz… Ces œuvres-là, ont en commun l’inestimable vertu de briser les étiquettes. C’est ce qui permet à un grand nombre de musiciens de les jouer régulièrement et différemment, conférant à ces œuvres un caractère d’universalité. Et c’est lorsque les cloisons entre les genres tombent que la musique peut libérer sa pleine créativité. Jazz, musique contemporaine, transversale, rock, blues… cohabitent tout à fait chez in situ. »