Artistes / Artists
Jean-Luc Cappozzo, Joe McPhee, Joëlle Léandre, Sylvain Kassap
Label(s)
ROGUE ART
Plutôt qu’un postlude ou une coda, les cinq minutes a cappella de Joe McPhee au saxophone ténor placées ici en treizième position sonnent comme un chant d’amour et d’espoir aux couleurs d’utopie qui condense l’invisible des vies qui sont là et ne sont plus là.
De l’effervescence d’une volière où se croisent pépiements et ramages (de Raphaël Imbert, Urs Leimgruber, McPhee, Evan Parker et John Tchicai, chaque sax semblant chercher sa place dans le puzzle de la mosaïque mémorielle) à de duelles envolées prometteuses puis à un trio finement dessiné au trait – de cuivre frissonnant (Cappozzo), d’anche boisée (Kassap) et de percussion en ébullition (Rollet) – progressivement réitérant-martelant vers l’exacerbation d’un feulement ou d’une explosion feutrée, en prélude à une danse de mots comme autant d’étincelles (Dalachinsky) encordées con arco et pizzicatos solennels (Léandre, Phillips). Alternances de roulements de tonnerre des talking drums aux funèbres échos, de Ramon Lopez, et des graves mélodies d’un Portal qui, dès 1976 (à Chateauvallon), rendait hommage aux Angels ayleriens – placé ici, le trio du souffleur basque avec Lopez et Phillips semble préfacer la bouffée de lyrisme rauque de son homologue instrumental (Avenel-McPhee-Goubert), puis, comme pour souligner la maîtrise multi-instrumentale de McPhee, celui-ci devait engager avec Cappozzo un gai dialogue de trompettistes, mixte de pistons étouffés, d’effets de souffle et de tirades cuivrées aux effluves de mini-fanfare. Fort logiquement, c’est une sorte de “duo” qui leur succède : dialogue avec lui-même du saxophoniste Evan Parker par la virtuosité d’une respiration circulaire autorisant un toujours fascinant diphonisme. Quant aux pénultièmes phases de cet hirsutisme polyphonique, à force d’explosions, de tourbillons, mélopées, trépignements, hurlements, bouillonnements et suraigus, tout se passe comme si les derniers cris en appelaient, au gré d’une transe, à certain esprit aylerien – Robert Schumann n’écrivait-il pas « La musique est ce qui nous permet de nous entretenir avec l'au-delà. » ?
- Philippe Carles