BIBILIOTHEQUES, ARTS ET CULTURE : CULTIVONS LA RESISTANCE
9 JANVIER 2022, PAR L'INSATIABLE
Les signataires précisent que cet appel a été rédigé avant les propos tenus par Emmanuel Macron dans le Parisien le 5 janvier.
Nous sommes bibliothécaires et nous sommes mobilisé·es depuis l’été pour demander la levée du pass dans toutes les bibliothèques et plus généralement dans les lieux de culture.
Cela fait plusieurs mois que nous alertons sans relâche sur une mesure qui va à l’encontre totale des fondements de notre métier à savoir l’accueil inconditionnel de toutes et tous sans distinction. Cette dernière a des effets délétères (mise à mal du lien social, sur l’exclusion d’enfants), et instaure un " deux poids deux mesures" incompréhensible et injuste. En effet, comment expliquer que l’on puisse aller sans pass dans tous les commerces acheter des livres, disques, films, magazines, mais qu’on ne puisse se rendre dans sa bibliothèque pour les y emprunter ?
Comment expliquer que l’on puisse s’installer sans pass dans des cybercafés pour accéder à des ordinateurs et à Internet et ne pas pouvoir le faire dans toutes les bibliothèques ?
Comment expliquer que l’on puisse s’entasser sans pass dans des meeting politiques mais que chaque citoyen n’ait pas accès librement à la presse et aux écrits des candidats et candidates ?
Comment se fait-il enfin que les élu.es locaux (à de rares exceptions près) ne se soient pas appuyés sur les deux exceptions prévues par le décret du 7 août 2021, dispensant de pass les personnes venant à des fins de recherche ou pour motif professionnel ? Pourtant 70 villes et réseaux (voir liste sur notre site) ont choisi de le faire pour dispenser les mineurs et continuer ainsi à accueillir tous les enfants. À toutes les inégalités engendrées par le pass, s’ajoute désormais une inégalité territoriale.
Aujourd’hui, alors qu’une nouvelle loi encore plus contraignante et restrictive pourrait être adoptée, ne serait-il pas temps de dénoncer haut et fort ces incohérences criantes et de réaffirmer qu’en temps de crise la culture est d’autant plus essentielle ?
Soulignons qu’avec l’instauration d’un pass vaccinal, on franchirait un nouveau pas dans l’exclusion généralisée (et pas seulement de la culture) de millions de personnes (dont des mineurs), dans la stigmatisation abjecte, mais aussi dans le contrôle permanent des citoyens (il est d’ailleurs question de demander la vérification de l’identité partout où le pass est exigé).
Bibliothèques, librairies : même combat
Il y a un an, de nombreux artistes, signataires d’une pétition lancée par François Busnel dénonçaient la fermeture des librairies avec des arguments qui sont plus que jamais d’actualité pour peu que l’on remplace le mot “librairie” par les mots “bibliothèque”, “théâtre” ou “cinéma” et le mot “lecture” par le mot “culture”.
Voyez plutôt :
" Le retour en nombre des lecteurs en librairie, jeunes ou adultes, à l’issue du premier confinement a illustré cette soif de lecture, porteuse de mille imaginaires, et cette volonté de défendre nos lieux de vie, de débats d’idées et de culture au cœur des villes. Sachons l’entendre. [...] Comme vous le savez, ces librairies jouent un rôle que nul autre ne peut tenir dans l’animation de notre tissu social et de notre vie locale, pour la transmission de la culture et du savoir et le soutien à la création littéraire. Elles sont en outre un des plus efficaces remparts contre l’ignorance et l’intolérance.
Nous tous, libraires, éditeurs, écrivains, lecteurs sommes prêts à assumer nos responsabilités culturelles et sanitaires. Ouvrir toutes les librairies, comme toutes les bibliothèques, c’est faire le choix de la culture. C’est un choix citoyen.”
En effet, les bibliothèques, jugées essentielles dès juin 2020, sont restées ouvertes pendant le deuxième confinement et leur accès inconditionnel vient d’ailleurs d’être entériné par une loi proposée en juin 2021 et parue ce 21 décembre dernier. Cette loi stipule entre autres que “les bibliothèques des collectivités territoriales ou de leurs groupements ont pour missions de garantir l’égal accès de tous à la culture, à l’information, à l’éducation, à la recherche, aux savoirs et aux loisirs ainsi que de favoriser le développement de la lecture"(art. 1).
Du côté des musées
Nous avons récemment appris la démission, en août dernier, de Fabrizio Masucci, conservateur depuis 10 ans du célèbre musée napolitain Museo Capella Sansevero. Lire ici.
Ses propos et son acte courageux sont hélas quasiment passés inaperçus. Les raisons qu’il invoque s’appliquent pourtant à tous les musées et à toutes les bibliothèques : “Les musées ne doivent pas être utilisés comme des moyens pour atteindre des objectifs étrangers à leur fin, surtout si une telle instrumentalisation compromet la cohésion sociale”. Rappelant que “les protocoles sanitaires adoptés en font les lieux publics clos à plus bas risque de contamination”, il affirmait que “seules des évaluations épidémiologiques spécifiques aux musées auraient permis de continuer à diriger une institution qui soit contrainte de renoncer à la parité dans le traitement de ses visiteurs”. Il ajoutait que “la vocation muséale de lieu d’inclusion et d’accès égalitaire à l’art et à la culture devrait être sacrifiée uniquement après avoir épuisé tout effort possible pour éviter une telle atteinte”. Et il invitait les autorités à "reconsidérer cette obligation car toutes les conditions sont réunies pour permettre aux musées d’être un lieu sûr et neutre où les personnes, entourées par la beauté, puissent recommencer à se connaître et à se reconnaître, sans s’étiqueter réciproquement”.
Du côté des artistes, théâtres et cinéma
En Belgique, des manifestations importantes ont eu lieu fin décembre pour maintenir les théâtres et cinémas ouverts. De nombreux lieux se sont maintenus ouverts en dépit de la fermeture exigée par le gouvernement. Cette mobilisation inédite a porté ses fruits puisque que la décision gouvernementale a été retoquée par l’équivalent belge du Conseil d’État.
Le cinéma Émeraude à Chateaubriant a préféré fermer le 23 décembre dernier plutôt que de subir à nouveau de brutales interruptions de projection pour cause de contrôles de police.
Et, suite aux dernières annonces gouvernementales d’une jauge pour les concerts ainsi que de la position assise obligatoire (alors que, par ailleurs, aucun changement n’affecte la tenue des meetings politiques), plusieurs artistes (Julien Doré, Hoshi, Grand Corps Malade, etc.) ont transformé leur affiche de concert en meeting. Nous nous en réjouissons et espérons que d’autres artistes contesteront les incohérences des mesures, mais aussi leur caractère profondément injuste et injustifié car rappelons que si les salles de concert et théâtres sont soumis au pass depuis juillet, ce n’est pas le cas des meetings ni des centres commerciaux.
Sortir du silence
Si vous êtes heurté·es à l’idée que des personnes ne puissent pas venir vous voir, vous écouter et découvrir le fruit de votre travail, qu’elles doivent annuler leur billet (parfois pris très longtemps à l’avance), et ne puissent pas être accueillies dans les théâtres, bibliothèques, cinémas, salles de spectacle, musées, salons, festivals, centres culturels, lieux associatifs, dans ou pour lesquels vous travaillez, alors il est urgent de le faire savoir MAINTENANT.
Il est plus que temps de s’opposer clairement à cette loi scélérate.
C’est pourquoi nous vous appelons à prendre la parole sur toutes ces mesures, individuellement, comme l’ont fait Alexandre Jardin ou Didier Van Cauwelaert, CharlElie Couture, Joseph Andras et d’autres et/ou collectivement.
Car ne rien dire, c’est accepter que des personnes, dont des enfants, soient stigmatisées sans raison, mises au banc de la société, deviennent les boucs-émissaires d’une politique sanitaire qui a clairement montré son inefficacité ; c’est accepter que des personnes qui ont tant à cœur leur métier ne puissent plus travailler, que des artistes soient exclu.es brutalement sans recours possible des lieux où ils interviennent.
Organisons-nous !
Nous appelons tous les syndicats à s’emparer de cette question, car cette nouvelle loi aurait (au moins) trois conséquences directes :
empêcher des personnes de travailler dans des lieux soumis au pass (elles n’auront plus la possibilité de présenter un pass résultat d’un test négatif),
empêcher totalement une partie du public d’accéder à des lieux, y compris des lieux essentiels (il y a déjà une baisse de fréquentation constatée dans de nombreux endroits soumis au pass),
forcer des travailleurs à devenir dans la durée des agents de contrôle dans le cadre de leur travail (contrôle du pass et vérification de l’identité)
De nombreuses initiatives ont vu le jour depuis le début de cette crise. En voici quelques-unes :
Bibsanspass, notre site qui vous propose différentes actions (pétition, lettres aux élu·es,
tracts, grèves, etc.) : https://bibsanspass.wixsite.com/website.
Les Essentiels que vous pouvez rejoindre et soutenir (en ajoutant votre nom au collectif, en proposant vos talents de photographes, en alimentant et en diffusant la cagnotte. )
La Caravane de la culture (sur Télégram ou sur facebook)
Le site des Arts Vivants libres qui propose un manifeste des artistes libres que vous pouvez
signer.
La bibliothèque turbulente, créé suite à l’Appel Antigone paru dans le blog Mediapart, bibliothèque accueillant des textes d’artistes qui affirment leur "non" au pass.
Unissons nos voix et nos forces contre un discours de haine, pour que la culture et tous les services publics restent accessibles à toutes et tous et pour une société solidaire.
« Le pass sanitaire ne sera jamais un droit d’accès qui différencie les Français. Il ne saurait être obligatoire pour accéder aux lieux de la vie de tous les jours comme
les restaurants, théâtres et cinémas » . Emmanuel Macron (30 avril 2021, Le Parisien)
Alexandra, Béatrice, Caroline, Cédric, Clotilde, Corine, Florence, Frédérique, Géraldine, Gwenaëlle, Jan, Judith, Julien, Loïc, Myriam, Natacha, Sandrine, Sabine, Sarah, Sophie, Stéphanie, Sylvie...