Interview Didier Levallet, Directeur Festival Jazz Campus en Clunisois pour Les Allumés du Jazz par Catherine Cristofari
1. Musicien, directeur d’une scène nationale, directeur de l’ONJ, quelles sont les motivations qui poussent un homme tel que toi, à créer un festival de Jazz ? La création de ce festival remonte bien avant la création de l’ONJ, bien avant la Scène Nationale de Montbéliard. Peut-être qu’aujourd’hui, cela ne se ferait plus de cette façon là ! Dans les années 70 j’ai des amis qui sont installés dans cette région, l’un me met la puce à l’oreille, je pense alors que mon statut de musicien ne me permettra jamais de me loger à Paris, je cherche un toit à me mettre sur le tête et finalement j’achète pour une bouchée de pain une maison à 5 kilomètres de Cluny. Et puis très vite au bout 2 ans, j’ai envie de proposer aux gens du coin, un partage, je créé le premier atelier gratuit pour faire de la musique ensemble, de manière très ouverte. Cela a commencé comme cela, la ville m’a prêtée une et salle un piano, 15 personnes sont venues travailler avec moi. J’ai recommencé l’année suivante, 40 personnes se sont inscrites, j’ai appelé des copains à la rescousse, à ce moment là, il n’ y a toujours pas de concerts à part celui de fin de stage. Et puis j’ai découvert l’existence d’une DRAC, je ne savais pas que cela existait, et qui venait de recevoir le premier conseiller musical. Il n’y avait pas de ligne Jazz à cette époque là mais néanmoins, en fonction de la dimension pédagogique, c’était en 79, ils m’ont dégotté 10 000 Francs. Et j’ai monté les Trois premiers concerts ! Ce sont l’agitation, un désir de partage et de créer là où je suis. Il y avait beaucoup moins de festivals en 1977-1979, on était encore un peu unique alors ! Il s’est mis à croître et à embellir, la ville de Cluny m’a petit à petit accompagné de mieux en mieux, l’Etat a suivi, puis le Conseil régional, le festival s’est développé progressivement mais il est vrai que sans stage il n’y aurait pas eu de festival. Le stage, c’est une base pour la constitution d’un public. C’est récurrent tous les festivals historiques c’est l’histoire d’une personne : Nevers, Le Mans, Strasbourg, Perpignan etc... C’est drôle parce que cette musique là a une image valorisante mais ce n’est jamais une priorité dans les politiques culturelles : il faut qu’il y ait une personne qui soit le déclencheur.
2. Un Festival de Jazz, est-ce que c’est comme un magazine ou un quotidien, y- a-t-il une ligne éditoriale ? Chaque festival, quel qu’il soit, a sa couleur. Une couleur liée au point artistique d’où l’on part : on procède par cercles concentriques à partir d’une conviction intime et puis on élargit car on ne peut pas rester dans l’entre soi. Après ce sont les rencontres dans le métier qui font les cercles suivants. Il y a des obligations aussi : l’ancienne municipalité a souhaité à un moment une programmation
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« plus » visible. J’ai programmé dans les jardins de l’Abbaye des musiciens toujours de notre couleur, parfois un peu au delà, mais je ne renie rien : dans ce lieu en dessous 600 personnes, c’est minable. Il y a un moment où les rapports avec les élus politiques ne sont pas toujours simples parce que les motivations sont différentes, mais on travaille avec l’argent public, donc il y a des demandes qu’on doit satisfaire. Je pense que le public à Cluny, sait ce qu’on va lui proposer, vers où on l’emmène.
Dans une ligne éditoriale est toujours le gauchiste ou le « droitiste » de quelqu’un. Il y a des festivals très marqués avec une identité très forte, et c’est bien ainsi.
2 La Double Casquette te gêne–t-elle ? :
Ca ne m’empêche de rien mais ce qui est désagréable c’est de dire non à des tas de gens, dont pas mal de copains, ça n’empiète pas on est à la fois avec un ami et on se demande des choses et ce n’est pas forcément le bon choix pour cette année et c’est difficile.
3. Le Festival de Cluny, c’est un peu comme une famille ? D’ailleurs après tout, créer un festival, n’est-ce pas une tentative de récréer sa famille idéale ?
Les moments sont ceux qu’on passe avec les musiciens et le public. Il y a sans doute de fait une famille des musiciens. La « jazzosphère » est un petit monde.
4. J’ai été très frappée l’été dernier à Cluny par l’enthousiasme du public, son ouverture et sa capacité à s’émerveiller pour des musiques dites « pas forcément faciles », est-ce que ça s’éduque un public ? Et si oui, comment ?
Oui, ca se travaille ici depuis plus de 30 ans. Il vient en confiance car il a constaté, sur la durée qu’on se fiche pas de lui : il reconnaît la constance dans ce qu’on lui propose. Le public local a changé aussi : il y a maintenant beaucoup de musiciens, une école de musique.
5. Tu organises également conjointement au festival des stages qui accueillent aussi bien les enfants que les adultes et dont la restitution était très réussie cette année ? Comment as-tu eu cette idée ? Et y-a-t-il quelque chose qui t’émeut particulièrement dans cette idée de transmission ?
Ca a commencé avec très peu de moyens. J’ai répondu (assez innocemment) à une demande très peu satisfaite parce qu’il faut se rappeler qu’à l’époque il n’y avait pas de classe de jazz dans les conservatoires, pas de partitions etc...
L’idée a toujours été d’inviter des musiciens ayant une vraie existence dans le métier à partager leur vision artistique avec les stagiaires. Pour assurer le renouvellement des propositions – notamment vis à vis des stagiaires qui reviennent plusieurs années, et ils sont nombreux - je change d’animateurs tous les trois ans..
Depuis 1977, un vrai bottin du jazz d’aujourd’hui, français et européen est venu partager son univers avec les amateurs et futurs professionnels.
6. L’éveil, l’apprentissage de la musique aux enfants, est-ce une notion importante pour toi et qu’est-ce que cela représente pour toi ? Le stage des enfants est à pour les 8 à 12 ans. A cet âge là, on n’est pas en mesure de jouer du jazz, j’ai toujours pensé que cette musique, ne pouvait éclore, qu’au moins à l’adolescence, la quête de soi même, son positionnement face au monde, ce ne sont pas des choses qu’un gamin de dix ans se pose, c’est très personnel. Par contre, dans le stage jeune public, c’est une initiation au geste musical, invention, réactivité avec des techniques de sound painting, on est dans un tout autre domaine qui est une véritable ouverture sur la musique, comme dit Dominique Pifarély « c’est l’expression, sans le style », c’est ludique, apprendre ensemble à s’insérer dans phénomène sonore.
7. Ton Quintet « Voix Croisées » a eu beaucoup de succès au Festival cette année, tu y es entouré entre autre de trois jeunes musiciennes talentueuses, (citer les noms), est-ce qu’en tant que femmes musiciennes, elles apportent autre choses que des garçons ?
J’avais joué avec Airelle Besson et François Laizeau et entre temps j’ai rencontré Sylvaine Hélary et Céline Bonacina. C’est très agréable humainement et musicalement. Céline est la plus proche du phrasé jazz. Airelle a une façon très personnelle de placer son discours dans l’espace et Sylvaine, se place comme en léger décalage, avec beaucoup de fantaisie et de malice. L’arrivée des femmes dans le cercle des instrumentistes de jazz est un fait historique, et c’est une très bonne chose, même si elles sont encore ultra- minoritaires (mais on revient de loin).
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Je pense que l’enseignement du jazz dans les structures traditionnelles a au minimum facilité l’émergence de cette première vague de jazzwomen.
8. Pour les visiteurs du site des Allumés du Jazz, que peux-tu dévoiler de ta programmation en avant-première ?
L’essentiel, sinon le tout, sera décidé pour la fin de cette année 2013. Pour le stage : Sophia Domancich, Laurent Dehors, François Raulin et Cyril Hernandez seront au rendez-vous (certains pour la dernière année). Reste un cinquième poste à pourvoir. Pour les concerts, c’est encore un peu tôt car même si certaines participations sont quasiment acquises et ardemment souhaitées, les négociations et arbitrages financiers, l’équilibre territorial en questionnement, pourraient modifier la donne.
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